La commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi sur la fin de fin a terminé, mardi 30 avril, les auditions entamées le 22 avril avec une table ronde d’acteurs engagés qui résume les inquiétudes et les insatisfactions des opposants et des partisans de l’aide à mourir.

Militante assumée d’une évolution de la loi, la journaliste et médecin de formation Marina Carrère d’Encausse a exposé, d’entrée, les deux points essentiels à changer selon elle. Le premier concerne l’article 6 qui définit les conditions à réunir pour accéder à une aide à mourir.

Quelle frontière entre suicide assisté et euthanasie ?

Dans la version gouvernementale, celle-ci est réservée aux patients majeurs, capables d’exprimer leur volonté et atteints d’une maladie incurable provoquant des souffrances insupportables et engageant un pronostic vital à court ou moyen terme. « Ce dernier critère exclura les personnes qui souffrent de pathologies neurodégénératives, comme la maladie de Charcot ou les personnes lourdement handicapées après un AVC ou un accident », a-t-elle plaidé.

La seconde modification concerne l’article 5. Celui-ci précise que c’est au patient de s’administrer la substance létale, le recours à un tiers n’étant autorisé que s’il est physiquement incapable d’effectuer le geste. Une disposition qui introduit une sorte d’exception d’euthanasie que Marina Carrère d’Encausse conteste : « Si le patient le souhaite et que le médecin accepte de faire le geste, où est l’obstacle ? »

Un argumentaire appuyé, quelques minutes plus tard, par la juriste Martine Lombard (1), qui a mis en garde les parlementaires contre le risque d’une loi « inapplicable car trop restrictive ». « Je n’ose imaginer le sentiment de trahison qu’éprouveraient les Français si cette loi ne devait avoir qu’une portée symbolique », a-t-elle souligné. « Il s’agit de répondre à l’aspiration des citoyens à rester maîtres de leur vie jusqu’à leur mort en ouvrant un droit, une liberté qui n’impose rien à personne », a insisté l’ex-ministre de la santé Marisol Touraine.

Quid des pauvres, des esseulés, des maltraités ?

Fort de trente-six ans d’expérience auprès des malades, le docteur Jean-Marie Gomas (2) a dit son opposition à un projet de loi « confus par son refus de nommer clairement les choses » et « irréaliste tant les conditions d’accès et les procédures sont inadaptées ». Quant à l’engagement du gouvernement à développer les soins d’accompagnement à travers un plan sur dix ans, ce pionnier de la médecine palliative se montre plus que sceptique. « Cela fait des années que j’entends des promesses », a-t-il douté.

Une critique reprise avec gravité par le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique, dénonçant « un projet de loi qui répond à la demande de liberté de 2 à 3 % des malades sans apporter de protection à l’immense majorité des patients autre que des promesses intenables ». « Quid des pauvres, des esseulés, des maltraités, des oubliés dans des Ehpad ? Quel sera le choix, la liberté laissée à ceux qui pensent qu’ils n’ont plus leur place dans ce monde ? », insistait peu après la psychologue Marie de Hennezel.

Il appartient désormais aux 71 députés de la commission spéciale de proposer des amendements. Ils ont jusqu’au 7 mai pour le faire avant d’entamer, à partir du 13 mai, l’examen article par article. Le projet remanié sera ensuite débattu en première lecture à l’Assemblée à partir du 27 mai, avant un vote prévu le 11 juin. Première étape d’un long parcours législatif qui pourrait s’étaler jusqu’à la fin de 2025.

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(1) Autrice de L’Ultime Demande, Liana Levi, 128 p., 14 €.

(2) Coauteur de Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? Un enjeu majeur de civilisation, Artège, 256 p., 17,90 €.