La jeune femme sourit en regardant sa fille cadette essayer de grimper sur la chaise. Depuis un mois, Martina (1) et ses enfants se trouvent dans un refuge pour femmes victimes de violence dans l’est de la Croatie. L’adresse exacte est gardée secrète. « J’ai longtemps espéré qu’il change. J’hésitais à venir ici, car je craignais qu’on m’enlève mes enfants. Mais maintenant j’ai juste envie d’une vie normale, j’en ai assez des ordres, des insultes et des violences », raconte-t-elle.

L’histoire que Martina veut laisser derrière elle n’est malheureusement pas si rare en Croatie. Son mari était possessif, autoritaire, coléreux. « Il voulait montrer qu’il était un “vrai homme” et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait avec moi », poursuit Martina, qui, après avoir dénoncé à plusieurs reprises son époux à la police et lui avoir pardonné par la suite, a décidé de s’enfuir du domicile familial avant que la situation ne dégénère.

Amendement au code pénal

Selon une enquête du Réseau européen du journalisme de données (EDJNet), la Croatie est le troisième pays en Europe pour le nombre de meurtres intentionnels de femmes par rapport à la population totale de sexe féminin. Seules la Lettonie et la Lituanie font pire. Depuis 2020, 47 femmes ont été tuées par un proche, très souvent leur (ancien) partenaire dans un pays de moins de 4 millions d’habitants. Pour faire face à ce fléau, le Parlement croate a approuvé à la mi-mars un amendement au code pénal, qui a conduit à l’introduction du crime de féminicide (défini comme le meurtre aggravé d’une femme) ainsi qu’à un durcissement général des peines pour les violences sexuelles.

La Croatie est ainsi devenue l’un des rares pays européens à reconnaître le féminicide comme une infraction pénale distincte (avec Malte et Chypre). Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, toute personne reconnue coupable du crime de féminicide risque au moins dix ans de prison, tandis que la peine minimale pour le viol est passée d’un an à trois ans. Les droits des victimes de violence ont aussi été renforcés.

Des réserves des associations de défense des femmes

Cette réforme voulue par le gouvernement du premier ministre conservateur, Andrej Plenkovic, a été saluée par les organisations de défense des droits des femmes, mais avec des réserves. « Il s’agit d’un message social fort en termes de tolérance zéro à l’égard de la violence faite aux femmes, commente la coordinatrice de l’association Babe., Zdravka Sadzakov, cependant, (la nouvelle loi) n’est en aucun cas suffisante pour supprimer la violence contre les femmes et ne contribue pas en soi à une protection plus efficace des femmes, surtout si l’on considère qu’il s’agit de la forme de violence la plus extrême.»

Plus de 600 femmes ont trouvé un abri dans le même refuge que Marina depuis son ouverture en 2008. Selon la chef de programme Ivana Sucic, « le cadre juridique est adéquat en Croatie, mais la prévention est insuffisante. Il y a un manque d’éducation à l’égalité des sexes dans les écoles et, surtout, un manque de travail sérieux et systématique avec les hommes violents. Seules quelques associations s’en occupent. Sans thérapie, un homme violent restera toujours violent, poursuit-elle.

(1) Le prénom a été modifié.