La Croix : Comment la guerre avec le Hamas a-t-elle impacté les chrétiens en Israël ?

Mgr Rafic Nahra : La guerre touche toute la population sans distinction : les chrétiens sont insérés dans le tissu social. En Israël et en Territoires palestiniens, ils sont en grande majorité des chrétiens arabes. La question se pose donc surtout en ces termes : qu’en est-il de la relation entre Arabes et Juifs en Israël ? Elle est très atteinte par la guerre. Depuis le 7 octobre 2023, quelque chose est profondément blessé dans la confiance mutuelle et dans la volonté de vivre ensemble.

Une partie de la population juive a développé une méfiance vis-à-vis des Arabes. Elle se manifeste par exemple si des Arabes vont vivre dans un quartier juif : va-t-on les accueillir ou pas ? Embauchera-t-on celui qui cherchera du travail ? Les jeunes qui iront au restaurant seront-ils les bienvenus ? Les Arabes peuvent être soupçonnés de soutenir les Palestiniens, d’avoir le cœur avec Gaza.

Comment les Arabes chrétiens vivent-ils cette situation depuis le 7 octobre ?

Mgr R. N. : Les Arabes israéliens souffrent évidemment avec les Palestiniens parce qu’ils se définissent essentiellement comme des Palestiniens en Israël, et la situation que vivent les Gazaouis est intolérable, on ne le dira jamais assez. En même temps, nos jeunes travaillent en monde juif et sont aussi en empathie avec la souffrance du peuple juif, des familles des otages et des soldats.

Il y a une véritable souffrance du côté israélien : le problème des otages est une épine dans son œil. La compassion vis-à-vis de l’un n’empêche pas la compassion vis-à-vis de l’autre. Le Christ nous enseigne de compatir avec celui qui souffre. Il faut parler de justice, mais cela ne signifie pas ne pas ressentir la douleur des uns et des autres.

Quel peut être le rôle des chrétiens ?

Mgr R. N. : Une partie de la population juive et arabe veut vraiment vivre ensemble. Il faut renouer nos relations et montrer ouvertement notre désir de le faire. Nous, comme chrétiens, nous devons agir avec d’autres – nous sommes trop peu nombreux pour agir seuls – et trouver les personnes de bonne volonté pour travailler ensemble.

Récemment, le patriarche latin de Jérusalem (Mgr Pierbattista Pizzaballa, NDLR) est venu à Nazareth et a rendu visite à des familles musulmanes. Nous avons parlé de la possibilité de commencer des activités ensemble. Nos écoles chrétiennes sont aussi un exemple de coexistence : les musulmans qui y étudient sont nombreux, chrétiens et musulmans s’y côtoient et apprennent à collaborer. C’est dans ce sens-là qu’il faut aller.

Quelle est la position du Patriarcat latin vis-à-vis de la guerre ?

Mgr R. N. : L’Église appelle à la cessation de la guerre et à trouver une solution, parce que le drame humanitaire à Gaza a atteint des limites insupportables. Ce qui est très inquiétant aujourd’hui, c’est l’absence de perspective pour l’avenir. Israël a été attaqué très violemment le 7 octobre, elle réagit, soit. Il y a aussi le problème des otages. Mais quelle est la perspective quand cette guerre sera finie ?

S’il n’y a pas de solution viable pour le peuple palestinien, ce n’est que partie remise. Quelle est la perspective où le peuple palestinien est respecté dans sa dignité et dans son désir légitime à l’autodétermination ? Les solutions ne sont pas simples, mais il faut les trouver, nous n’avons pas le choix.

Avez-vous un message pour les chrétiens en France ?

Mgr R. N. : L’Église en Terre sainte s’est toujours nourrie et fortifiée de la présence des pèlerins. Je les invite à continuer à venir. Aujourd’hui, la Terre sainte est un problème local qui s’exporte partout. Nous, chrétiens, ne soyons pas des personnes qui divisent, mais qui rapprochent. Nous voulons être de ceux qui écoutent les uns et les autres, et qui aident les deux parties à comprendre la souffrance de l’autre. Il n’y aura jamais de paix sur cette terre si le peuple juif ne comprend pas la souffrance des Palestiniens, et si les Palestiniens n’entendent pas la souffrance des Juifs, aussi bien dans leur histoire passée que dans leur inquiétude aujourd’hui.

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Près de 185 000 chrétiens en Israël

En 2022, environ 185 000 chrétiens vivaient en Israël, soit moins de 2 % de la population totale. La grande majorité d’entre eux sont arabes (environ 75,8 %). Ces chiffres n’incluent pas les migrants venus de pays étrangers.

Les chrétiens arabes habitent majoritairement à Nazareth (un peu plus de 21 000), à Haïfa, Jérusalem, et Shefar’am.

Dans les Territoires palestiniens, moins de 1 % de la population est chrétienne, soit environ 50 000 personnes. Gaza, avant le 7 octobre, comptait 1 077 fidèles. Aujourd’hui, il en reste près de 750.